Cet article a été écrit par Isabelle Robin du blog la pédagogie comme un chef (https://isabellerobin.eu)
Accueillir le ver, accueillir chaque enfant et apprendre
Mi-octobre dans une classe de Moyenne et Grande Sections de maternelle (enfants de 4 à 6 ans) en ville.
Découverte
Il est 10h45, nous sommes sur la cour de récréation.
Cynthia arrive en courant :
- Maîtresse, j’ai trouvé un ver de terre !
- (Ma collègue, dégoûtée) Mets ça dans la poubelle.
- (Moi) Montre.
- Regarde maîtresse.
- Va voir madame Castel (l’assistance maternelle de la classe) et demande-lui un petit pot pour mettre ton ver de terre. Tu le mettras sur la table d’exposition.
La récréation se poursuit.
Observation sauvage
11h, nous rentrons. Les élèves s’assoient sur les bancs comme d’habitude.
Je donne la parole à Cynthia :
- J’ai trouvé un ver de terre. Il est sur la table d’exposition.
Quasiment toute la classe est au courant. Je prends la parole :
- Je propose que l’on change exceptionnellement l’emploi du temps pour que l’on puisse regarder le ver de terre. La présentation des livres aura lieu après la sieste. Qui est d’accord ?
Tous les doigts se lèvent. Ils n’ont qu’une idée : voir, peut-être toucher, le ver de terre.
Les enfants sont curieux par nature (je ne vous apprends rien). Il suffit d’en tenir compte en classe : pouvoir accueillir l’imprévu, sortir du cadre de l’emploi du temps. Je précise : on ne peut sortir du cadre seulement s’il y a un cadre et qu’il est respecté.
- (Moi) Cynthia, pose ton ver de terre sur la grande table.
Toute la classe se dirige vers la table et les commentaires fusent :
- (Téo) C’est dégueu.
- (Marie) Il a dit un gros mot.
- (Paul) Il bouge pas.
- (Jacques) On lui fait peur.
- (Jennifer) Il a rentré ses pattes.
- (Fatima) Où est sa tête ?
- (Samuel) Il l’a peut-être rentrée
- (Cynthia) Maîtresse, Liane pleure.
- (Moi) Qu’est-ce qu’il y a Liane, tu as peur ?
Elle fait non de la tête.
- Tu peux pas voir mon ver de terre ? » lance Cynthia.
Elle fait oui de la tête.
Observation plus organisée
Je regarde alors la classe. Pédagogiquement parlant, c’est, en effet, pas terrible: seul un groupe d’enfants peut réellement voir le ver de terre. Merci Liane et Cynthia la grande, qui prend en compte l’autre.
- (Moi) Chacun va à sa table dans son équipe. Cloé tu fais ton métier (voir l’article sur les métiers) des crayons, je distribue des feuilles. Le ver de terre va aller d’équipe en équipe. En attendant le ver de terre, vous dessinez ce que vous avez vu ou ce que vous imaginez. Je passe vous voir et j’écris ce que vous avez dessiné.
Je m’attable avec une équipe qui n’a pas le ver de terre.
- (Arthur) T’écris qu’il a rentré ses pattes.
- (Marc) T’écris là, c’est la tête avec les yeux.
- (Moi) Tu as vu les yeux ?
- (Marc) Ils sont très très petits.
- (Mohamed) T’écris qu’il est marron. Il n’a pas de poils.
- (Aline) Il est long. Il a rentré ses cornes d’escargot parce qu’il a peur.
- (Moi) Je vais chercher le ver. Vous le regardez. Vous pouvez faire un autre dessin.
Plus tard, dans une autre équipe qui regarde le ver de terre :
- (Yvan) Il ne bouge toujours pas. Il n’aime pas la classe. Il faudrait lui donner de l’herbe.
- (Moi) Tu veux aller chercher de l’herbe dans la cour ?
- D’accord, prends une boîte (nous avons un stock de boites dans une caisse) et va chercher de l’herbe dans la cour. (la classe donne directement sur la cour).
- (Dominique) Il a des traits.
- (Romain) Au bout, c’est moins gros qu’au milieu.
- (Ali) Je ne vois pas les yeux ni la bouche.
- (Rachel) Est-ce qu’il a des oreilles ?
- (Ronan) Est-ce qu’il a des pattes ? »
Yvan revient avec de l’herbe et … un autre ver de terre J
Commencent certaines comparaisons:
- Il est plus grand.
- Il n’a pas de pattes non plus.
- On voit des gros traits.
- Il est pas de la même couleur.
Bilan provisoire
Au bout d’un quart d’heure, toutes les équipes ont pu voir au moins un ver de terre. Nous nous installons tous sur les bancs. Nous faisons le bilan de tout ce que nous avons vu et de toutes nos questions. En tant que secrétaire, je note pour mémoire. Nous ferons un compte-rendu pour le cahier de vie de la classe (collectif) où seront aussi mis les dessins des enfants. Ce cahier va chaque soir dans une famille).
Les questions
- Est-ce que le ver de terre a des pattes ? Une bouche ? Des yeux ? Des dents ? Des oreilles ? Des cornes ?
- Qu’est-ce qu’il mange ?
- Où est-ce qu’il dort ? Où est sa maison ?
- Comment il marche ?
- Comment il fait les bébés ?
Recherches dans des livres
La séance a duré une demi-heure. Nous reprenons le cours de la journée, l’emploi du temps.
Le lendemain, j’apporterai des livres documentaires de la bibliothèque municipale qui serviront à valider ou pas les hypothèses. Nous regarderons les photos, les dessins. L’assistante maternelle et moi lirons les livres.
Nous apprendrons que :
- Le ver est formé d’anneaux.
- Sur chaque anneau, il y a des petits poils qui lui servent à se déplacer en avant et en arrière.
- Il est recouvert d’un liquide.
- Il n’a pas d’oreilles et pas d’yeux.
- Il vit dans la terre. Il creuse. Il s’enfonce dans la terre. Il mange la terre. Il la rejette par l’anus.
- Les vers s’accouplent et des cocons se forment qui sont déposés dans la terre. Un minuscule ver sort de chaque cocon.
- Les taupes aiment manger les vers de terre.
Maintenir le désir d’apprendre
Bien sûr tout n’est pas clair dans les têtes et surtout comment ils font les bébés …
Et puis, il nous reste des questions:
- Est-ce qu’il parle ou fait du bruit comme les autres animaux (chien, chat) ?
- Est-ce qu’il pique ?
- Combien de temps il vit ? …
Nous résumons nos connaissances pour le cahier de vie de la classe et notons nos questions. C’est important d’avoir de nouvelles questions. Cela permet de se rendre compte qu’on ne sait pas tout et cela laisse la place à de nouvelles recherches. Ces séances ne ferment pas : elles ouvrent vers d’autres approfondissements, d’autres enquêtes, d’autres observations. Ces questions fomentent du Désir.
Nous avons gardé les vers de terre une semaine dans le terrarium sur la table d’exposition puis nous les avons remis dans la cour de récréation.
Quelques remarques
- La table d’exposition: un lieu d’accueil où on peut poser le ver de terre. Cynthia ne garde pas son ver de terre pendant la récréation. Le ver n’est pas accaparé par l’adulte. La table d’exposition est une technique simple, pas chère, mais qui peut rapporter gros. Vous pouvez trouver plus d’éléments sur cette technique ici sur le blog la pédagogie comme un chef.
- Ce n’est pas grand chose, un ver de terre, surtout que ça peut disparaître dans la poubelle à peine nommé. De quoi cette scène est-elle caractéristique sinon de la capacité d’une classe coopérative(Célestin Freinet) d’accueillir l’imprévu et de lui faire une place. Je propose même de déplacer la présentation de livres pour laisser cours à l’observation, la compréhension, le questionnement qui, le lendemain déboucheront sur un savoir. C’est le cadre institutionnel qui permet cette liberté. On peut changer exceptionnellement l’emploi du temps. Tout le monde veut regarder le ver de terre. Ceux qui ont apporté un livre savent que la présentation de livres aura lieu l’après-midi. Ils peuvent donc être là, présents au ver de terre.
- Le cadre, c’est aussi l’organisation : les équipes, les métiers, un peu de matériel (bocaux en verre, terrarium).
- Il y a maintenant un savoir commun, mais ils n’en retiendront pas tous la même chose.
- Les savoirs se construisent avec le groupe. Mais quelle hétérogénéité dans ce groupe ! Aline qui est dans les savoirs, Yvan qui est dans l’affectif, Cynthia qui est déjà dans la présence …
Cet article a été écrit par Isabelle Robin du blog la pédagogie comme un chef (https://isabellerobin.eu)